Copyright Troll ou l’abus de droit d’auteur

Nous allons vous raconter l’histoire fantastique des Copyright Trolls !

Non, vous n’êtes pas sur Netflix, et cette histoire n’est en rien de la science-fiction.

N’avez-vous jamais posté, sur votre site internet, des photographies prises sur des banques d’images en ligne pour illustrer vos différents articles ? Sans vraiment vous soucier de l’existence d’éventuels droits d’auteur sur les photos ?
Soyons honnêtes, vous n’êtes pas les premiers et ne serez pas les derniers…Quoique !

Nombreuses sont les agences de presse, et notamment françaises et parmi les plus connues, qui se sont attachées les services de sociétés le plus souvent de droit suisse ou de droit belge afin de gérer les droits des photographes et de leurs photographies. Ces sociétés « mandatées » par les agences de presse utilisent l’intelligence artificielle pour scanner tous les sites internet et détecter l’usage de photographies de ces agences stockées dans leurs serveurs : ceux sont les Copyright Trolls
Ces sociétés, dont les pratiques sont pour le moins sujettes à caution, vous contacteront par courriels vous demandant de justifier l’usage des photographies litigieuses par une licence d’exploitation dont vous ne pourrez probablement pas fournir.
Illustrant leurs allégations par de simples captures d’écrans peu lisibles dont le caractère probant serait semble-t-il réfutable, elles solliciteront rapidement le paiement d’une indemnité transactionnelle dont le montant est purement arbitraire et souvent disproportionné à la prétendue atteinte.

Ces sociétés sont souvent incapables de justifier le montant de la licence et se content seulement d’énoncer que « la société X a fixé ce prix à l’avance, nous n’avons pas en notre possession de fiche tarifaire ».
A ce stade, vous demanderez légitimement à quel titre intervient cette société et comment peuvent-ils justifier la propriété et les droits de leur commanditaire. Vous serez alors l’heureux destinataire d’un « mandat » et d’une attestation à l’entête de l’une des agences de presse, dont la valeur pourra laisser perplexe.

La pression est alors maximale pour les destinataires de ces emails, souvent des associations ou des TPE, qui se voient très vite menacés de voir le dossier confié à un Avocat, et la proposition amiable jusque-là consentie prendre de toute autre proportion, et ce avant même qu’ils n’aient eux-mêmes pu en discuter avec leur conseils.

Ces méthodes douteuses reposent sur un modèle d’affaire prédateur. L’avocat général de la CJUE, à la suite d’un arrêt en date du 17 juin 2021, (Aff. C 597/19) a estimé, dans une affaire similaire que « le droit d’auteur est ainsi détourné de ses objectifs et utilisé, voire abusé, à des fins qui lui sont étrangères » et pourrait donc constituer un abus de droit et une instrumentation de la propriété intellectuelle. Ces sociétés semblent en effet principalement rechercher l’obtention d’un gain et non la restauration et la réparation d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle puisqu’elles consentent souvent d’abaisser le montant de l’indemnité transactionnelle de 90 % après négociations !
Osons le dire, cette méthode confine à l’extorsion !

Entendons-nous bien, il ne s’agit pas de remettre en cause l’existence et l’intérêt des droits d’auteur, mais de mettre en doute des manœuvres caractérisant des abus dans leur exercice.
Aux termes des dispositions de l’article L 112-2 9º du code de la propriété intellectuelle les œuvres photographiques sont considérées comme des œuvres de l’esprit au sens de l’article L 111-1 du même code et sont dès lors protégeables sous la condition d’originalité, sans appréciation de leur mérite.

Il y a donc lieu de rechercher si les photographies litigieuses portent l’empreinte de la personnalité de son auteur. En cette matière, la jurisprudence considère que celle-ci s’évince des choix opérés par le photographe notamment quant au cadrage et angle de vue, à l’éclairage, aux contrastes et reliefs recherchés.

Or, dans la majorité des cas, les photographies litigieuses ne présentent aucun choix libre et créatif. Les photographes n’ont pas fait de choix ni du lieu, ni de l’éclairage imposé par la configuration des lieux, puisqu’il s’agit souvent de photographies d’actualités prise sur le vif, et représentent essentiellement les expressions et/ou gestes spontanés des sujets qui ont été imposés aux photographes.

Ces photographies ne font donc que restituer un instant saisi sans apport personnel du photographe. Les juges du fond retiennent que « la seule saisie du réel même avec talent mais sans parti pris esthétique ou travail créatif est insuffisante » à démontrer l’originalité de la photographie (CA Versailles, 1ère ch., 8 déc., 2017, n°15/08737)

Ainsi, dans de nombreuses épisodes de la série Copyright Trolls, le caractère d’originalité semblerait faire défaut, la protection par le droit d’auteur ne pouvant alors prospérer et par extension la prétendue contrefaçon en découlant.
Au-delà de l’originalité, la preuve de la titularité fait également largement défaut, puisqu’il ne vous sera transmis qu’une simple attestation du service marketing interne de l’agence presse … au mieux !
Cette histoire devrait plonger dans un profond embarras les agence de presse au nom desquelles ces sociétés agissent, au moins autant que le désarroi des destinataires des demandes de paiement.

Suspense garanti dans les prochains épisodes !

Jérôme FERRANDO et Clément FREYERMUTH

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