Par un arrêt du 14 février 2024, la Cour de cassation confirme la recevabilité des enregistrements de vidéosurveillance, permettant de démontrer les fautes de la salariée licenciée, malgré leur caractère illicite, dès lors qu’ils sont indispensables à l’exercice du droit à la preuve de l’employeur et proportionnés au but poursuivi.

Rappel des faits et de la procédure. Le 7 janvier 2003, Madame M. a été engagée par la société PHARMACIE MAHORAISE (ci-après la « Société ») en qualité de caissière.

Par une lettre du 19 juillet 2016, Madame M. a été licenciée pour faute grave, prise en flagrant délit de vol par les enregistrements de vidéosurveillance de la Société.

Madame M. a saisi la juridiction prud’homale pour contester cette rupture et obtenir le paiement de diverses sommes à titre d’indemnités de rupture et de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Madame M. considérait que les preuves issues de la vidéosurveillance n’étaient pas recevables. Elle soutenait que la Société aurait dû informer les salariés et consulter les représentants du personnel pour l’installation de ce dispositif de contrôle de l’activité des salariés. Selon Madame M., la note de service remise aux salariés par la Société se bornait à les informer de la mise en place d’un système de vidéosurveillance pour la protection et la sécurité des biens et des personnes. Il n’était pas précisé que le dispositif servait également à contrôler et surveiller l’activité des salariés.

Par un arrêt du 13 septembre 2022, la Cour d’appel de Saint-Denis de la Réunion a confirmé le licenciement pour faute grave de Madame M.

Les juges du fond ont considéré que la Société, après avoir constaté des anomalies dans les stocks, a envisagé l’hypothèse de vols par des clients, d’où le visionnage des enregistrements, ce qui a permis d’écarter cette piste.

Toutefois, les inventaires confirmant des écarts injustifiés, la Société a décidé de suivre les produits lors de leur passage en caisse et de croiser les séquences vidéo sur lesquelles apparaissaient les ventes de la journée avec les relevés des journaux informatiques de ventes. Ce contrôle a été réalisé du 10 juin au 27 juin 2016.

La Cour d’appel a considéré que le visionnage des enregistrements de vidéosurveillance était limité dans le temps, dans un contexte de disparition de stocks, et réalisé par la seule dirigeante de la Société.

La Cour d’appel en a conclu que la production des enregistrements était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de la Société et proportionnée au but poursuivi.

Madame M. a formé un pourvoi en cassation.

Solution de la Cour de cassation. Dans son arrêt du 14 février 2024, la Cour de cassation rappelle qu’il résulte de l’article 6 paragraphe 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et de l’article 9 du Code de procédure civile que, dans un procès civil, l’illicéité dans l’obtention ou la production d’un moyen de preuve ne conduit pas nécessairement à l’écarter des débats.

Selon la Cour, le juge doit, lorsque cela lui est demandé, apprécier si une telle preuve porte une atteinte au caractère équitable de la procédure dans son ensemble, en mettant en balance le droit à la preuve et les droits antinomiques en présence. Le droit à la preuve peut ainsi justifier la production d’éléments portant atteinte à d’autres droits, tels que le droit au respect de la vie privée, à condition que la production desdits éléments soit indispensable à son exercice et que l’atteinte soit strictement proportionnée au but poursuivi.

La Cour de cassation considère que la Cour d’appel a mis en balance, de manière circonstanciée, le droit de la salariée au respect de sa vie privée et le droit de la Société au bon fonctionnement de l’entreprise, en tenant compte du but légitime qui était poursuivi par la Société, à savoir le droit de veiller à la protection de ses biens.

Ainsi, selon la Cour de cassation, les juges du fond ont pu déduire que la production des données personnelles issues du système de vidéosurveillance était indispensable à l’exercice du droit à la preuve de la Société et proportionnée au but poursuivi, de sorte que les enregistrements de vidéosurveillance étaient recevables.

Cette décision s’inscrit dans celle rendue par l’assemblée plénière de la Cour de cassation le 22 décembre 2023 (Cass. Ass. Plén., 22 décembre 2023, Pourvoi n° 20-20.648). Il est désormais acquis que, dans le cadre d’un procès civil, l’illégalité dans l’obtention d’une preuve ne conduit plus nécessairement à son exclusion des débats.

La recevabilité des enregistrements de vidéosurveillance obtenus illégalement, notamment à l’insu des salariés, dans le cadre d’une procédure judiciaire, est soumise à certaines conditions.

Notons que les enregistrements de vidéosurveillance obtenus illégalement doivent, pour être recevables, être « indispensables » à l’exercice du droit à la preuve. L’employeur ne doit donc disposer d’aucun autre moyen de preuve à sa portée. C’est ainsi que, dans un arrêt du 8 mars 2023, la Cour de cassation a jugé que les enregistrements de vidéosurveillance produits étaient irrecevables dès lors que l’employeur disposait également d’un audit permettant de démontrer les fautes du salarié licencié (Cass. Soc., 8 mars 2023, Pourvoi n°21-17.802).

Les juges du fond doivent ainsi se livrer à une appréciation au cas par cas, en conciliant les intérêts en présence, pour admettre ou écarter de tels enregistrements.

Cet arrêt de la Cour de cassation du 14 février 2024 est d’ailleurs l’occasion de rappeler l’importance du respect du cadre législatif lié à l’installation d’un dispositif de vidéosurveillance, sous peine de rendre la preuve issue de ce dispositif irrecevable.

L’employeur doit notamment délivrer une information claire, complète, et individuelle aux salariés, et consulter le comité social et économique préalablement à l’installation du dispositif.

En outre, dans la mesure où ce dispositif permet de collecter des données personnelles telles que l’image et la voix, il convient de veiller au respect de la réglementation applicable à la protection des données personnelles, notamment en associant le délégué à la protection des données (DPO), s’il est désigné, à l’installation du dispositif, en menant, le cas échéant, une analyse d’impact, et en renseignant ce traitement de données dans le registre des activités de traitement.

Le cabinet ETNA vous accompagne dans vos démarches pour la mise en place de dispositifs de contrôle de l’activité des salariés.

(Cass. Soc., 14 février 2024, Pourvoi n°22-23.073)

Me Juliette Bachelard